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Carte blanche à Gaël Favier

La restauration de la Cité par Viollet-le-Duc : l’incroyable ouvrage d’un architecte visionnaire

Quand on se présente devant la Cité de Carcassonne, on est tout d’abord frappé de l’aspect grandiose et sévère de ces tours brunes si diverses de dimension, de forme, et qui suivent, ainsi que les hautes courtines qui les réunissent, les mouvements du terrain pour obtenir un commandement sur la campagne et profiter autant que possible des avantages naturels offerts par les escarpements du plateau, au bord duquel on les a élevées.

Viollet-le-Duc
Rue des Lices  -  Hautes, carte postale, vers 1900.

La situation n’est pas tout à fait la même pour un visiteur de la première moitié du XIXe siècle. En 1838, Stendhal dépeint une cité abandonnée « silence, dépopulation ; rues larges de huit pieds, maisons toutes petites, vestiges de gothique ; surtout absence de tout ce qui montre la civilisation ; au lieu des vitres, du papier huilé à beaucoup de fenêtres. »2  La vieille ville en ruine fait triste mine face à l’autre Carcassonne dotée d’une vie économique florissante, de commerces et de beaux hôtels particuliers. Dès 1835, les entrepreneurs pillent les pierres et détruisent la barbacane.

 
Viollet-le-Duc, Élévation de la face ouest, état actuel, état projeté, MPP 1996/83

L’érudit Jean-Pierre Cros-Mayrevieille sauve la Cité de la destruction et obtient en 1840 que l’ancienne cathédrale Saint-Nazaire soit protégée au titre des Monuments Historiques, les fortifications seront classées en 1862. À l’initiative de son ami Prosper Mérimée, Viollet-le-Duc est rapidement sollicité. L’architecte souhaite redonner une unité à l’ensemble et choisit comme repère le siècle de Saint Louis. Saint-Nazaire est restaurée entre 1844 et 1860. À partir de 1855, les travaux sur les remparts débutent, les budgets sont dévolus à la consolidation, à la couverture des tours et à la consolidation des pans de murs qui menacent de s’effondrer, en particulier à proximité de la porte d’Aude. Depuis le début du XVIIe siècle, des maisons pauvres et des baraques dans lesquelles habitent de nombreux tisserands sont accolées aux murailles dans les lices, les habitants vivent pêle-mêle avec leurs animaux domestiques dans un état sanitaire alarmant.  Jusqu’en 1911, le Conseil général de l’Aude et la Ville de Carcassonne vont accorder des crédits spéciaux pour l’acquisition de ces masures et leur destruction. « Je ne sache pas, estime Viollet-le-Duc peu avant sa mort, qu’il existe nulle part en Europe un ensemble aussi complet et aussi formidable de défense des VIe, XIIe et XIIIe siècles, un sujet d’étude aussi intéressant, et une situation plus pittoresque. Tous ceux qui tiennent à nos anciens monuments, qui aiment et connaissent l’histoire de notre pays, désirent voir achever cette restauration, et, déjà, dans le Midi, la Cité de Carcassonne, à peine visitée autrefois, est devenue le point d’arrêt de tous les voyageurs. »3 .

À son décès en 1879, son élève Paul Boeswillwald lui succède, suivi d’Henri Nodet. La restauration du château comtal débute en 1890 et s’achève en 1930. Près d’un siècle de travaux, parfois fort décriés, aura été nécessaire pour que nous puissions admirer cette cité médiévale idéalisée. Cette vision, nous la devons à Viollet-le-Duc qui justifie sa démarche dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture : « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. »4


1 Viollet-le-Duc, La Cité de Carcassonne, Paris, Ve A. Morel & Cie, 1878, p. 21.

2 Stendhal, Voyage dans le Midi de la France, Paris, Le Divan, 1930, p. 198.

3 Viollet-le-Duc, 1878, op. cit., p. 84

4 Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture du XIe siècle au XVIe siècle, Tome 8, Paris, Morel, 1869, p. 14.

 

Gaël Favier (Conservateur du musée Notre-Dame de l’Abbaye Expert en objet d’art et art religieux )